Rouge armé de Maxime Gillio

Année d'édition : 2016
Edition : Ombres noires
Nombre de pages : 348
Public visé : Adulte
Quatrième de couverture :
Patricia, journaliste au Spiegel, enquête sur les personnes qui, dans les années soixante, ont fui l’Allemagne de l’Est au péril de leur vie. Inge est passée de l’autre côté du Mur quarante ans plus tôt et accepte de lui raconter son enfance, son arrivée à l’Ouest, son engagement… Mais certains épisodes de la vie d’Inge confrontent Patricia à ses propres démons, à son errance. Leur rencontre n’est pas le fruit du hasard. Dans les méandres de la grande Histoire, victimes et bourreaux souvent se croisent. Ils ont la même discrétion, la même énergie à se faire oublier, mais aspirent rarement au pardon.

La première page :

Mon avis :


En général, je fais toujours un résumé de ma lecture. Et honnêtement à force c'est usant. Surtout que je vous reparle du roman en long en large et en semi-travers quelques lignes plus loin. Tout ce que je peux vous dire c'est que j'ai passé un moment mémorable en compagnie de ces deux femmes qui semblent tellement différentes. Entre la journaliste, Patricia qui a ses propres démons, alcoolique, un peu folle à lier et Inge, cette vieille femme qui semble vouloir qu'on lui foute la paix, autant dire que c'est haut en couleur.

On démarre très vite en 1943, en pleine seconde guerre mondiale et on fait la connaissance d'Anna, une allemande qui vit en Tchécoslovaquie depuis sa naissance. Le ton est dur, les premières pages se veulent sombres, dès le début. Parce que oui, en temps de guerre, rien n'était rose et charmant. On s'entretuait pour un rien, on balançait nos voisins, bref c'était à celui qui deviendrait le plus insignifiants possible pour ne pas qu'on le remarque. Du moins, pour beaucoup. D'autres en profitent pour se faire remarquer, montrer qu'ils soutiennent les alliés, peu importe comment se terminera la guerre. On a la trouille, on se cache, on espère...

N'allez pourtant pas penser que ce roman se situe uniquement pendant la seconde guerre mondiale. Pas du tout. Ce n'est que l'enrobage de l'intrigue, ce qui lui tient de base et d'arrière plan. L'histoire est beaucoup plus complexe, une ode à l'après-guerre, période que je ne connais moi-même pas beaucoup et dont j'ai très peu lu de roman ou de documents. Maxime nous propose très vite de faire la connaissance de Patricia. Journaliste, elle cherche à interroger une vieille femme qui serait parvenue des années plus tôt à passer de l'autre côté du mur sans se faire attraper. Mais voilà, Patricia est un personnage énigmatique, souffrant d'un profond mal être et alcoolique. Son portrait surprend et étonne, en témoigne Paul son plus proche collègue et peut-être le seul ami qu'elle ait :

" En dépit d'un physique qui pourrait être très agréable, tu ne fais rien pour te mettre en avant. De toute évidence, tu as peur de plaire. Pourtant, tu n'es pas si timide et tu sais séduire quand le besoin s'en fait sentir. Ton hygiène de vie est, selon mes critères, absolument déplorable, ce qui ne t'empêche pas, à ton âge, d'avoir un corps tout  fait excitant, pourvu que tu te donnes la peine de le valoriser, ce qui arrive environ tous les six mois. En gros,tu te négliges alors que tu as un potentiel de séduction évident. Il est clair que sexuellement, tu dois sacrément être bonne, à condition que ce soit pour un coup seulement. Deux, grand maximum. Après, ce sont les emmerdes qui commencent. Tu as une autre question?" Page 28

Le portrait semble peu élogieux et pourtant c'est vraiment ainsi que se présente Patricia. Pas d'attache, pas d'amis, peu de famille (sa mère, malade. ) Patricia qui semble ne vivre que pour son boulot et qui cache une blessure profonde et destructrice qui la rend parfois incontrôlable avec la gente masculine. En témoignent les nombreuses scènes où elle se met minable avant de s'envoyer le premier crétin qui lui plaît un minimum. (Ou les crétins, c'est selon son humeur.) Pourtant, j'ai franchement bien aimé Patricia. Elle cache quelque chose et son intérêt pour Inge est tout autre que celui qu'elle veut bien faire croire, je l'ai compris très vite. Mais en aucun cas cela ne perturbe la lecture et le plaisir que j'ai eu à suivre son histoire et celle d'Inge. 

Les deux femmes sont différentes. Leur âge, leur jeunesse, leur vie d'aujourd'hui. Tout les oppose, enfin presque et chacune va tenter de cerner l'autre. C'est un étrange duel de suspicion qui va démarrer entre elles donnant lieu à une étrange amitié ou plutôt à une forme de respect mutuel. On se demande vraiment ce qui les lie ces deux bonnes femmes. On sent un fil invisible très rapidement qui les retient l'une à l'autre. Et puis on s'attache... On ressent beaucoup de compassion pour Patricia qui ne parvient pas à enfanter. On la sent fébrile, agacée par sa vie merdique. Et on sent que la noirceur qui la domine est sur le point d'éclater, et lorsqu'elle a ses crises où elle sombre, on est mal pour elle. 


" - Je suis désolé, Patricia, ce n'est pas encore pour cette fois.
Je ricane.
- Pas "encore" ? Allons, pourquoi autant de précautions ? Qu'est-ce que la médecine peut encore me proposer ? Je suis stérile, je suis stérile, point barre." Page 70

Patricia qui accepte son sort, désabusée. Pourtant, j'ai bien senti la douleur qui l'habite surtout que rien n'explique qu'elle ne tombe pas enceinte. Et puis pourquoi voudrait-elle se ranger comme tout le monde alors que finalement elle dit clairement ne pas avoir envie d'un enfant ?

Rouge armé propose une histoire intense et malgré l'action pas très présente, on se sent aspirer par les événements et par l'ambiance pesante qui se dégage de chaque page. Tantôt se passant en 2006, tantôt en 60/70, on découvre la vie d'Inge, cette femme qui a tout donné pour tenter de vivre libre dans une époque troublée et dangereuse. L'auteur parvient à dresser des portraits de personnages cohérents et crédibles. Comme s'il avait lui-même interroger ses personnages. Ces femmes sont fortes et courageuses, elles avancent comme elles l'entendent, mais je dois bien avouer que je n'ai pas su les départager. J'ai aimé le côté cash et dangereux de Patricia et les mystères d'Inge. Pis la plume de Maxime y est pour beaucoup ! Douce, sincère, imagée sans forcer le trait, on se sent vraiment dans cette ambiance post-guerre aux côtés des personnages que l'on découvre. Certains passages sont marquant.. vraiment. L'un d'eux en particulier montre toute la noirceur de cette époque :

" Ce matin, Horst est mort.
Au sortir d'une nuit trop courte, Anna a réveillé ses garçons pour se remettre en route sous l'oeil noir des fusils. Horst, son petit garçon, était déjà froid.
(...)
Anna s'est laissé entraîner par Helmut. A reculons, elle a rejoint les autres. Le corps de son fils n'est bientôt plus qu'une tache blanche et noire trouant la végétation du sous-bois. Elle n'a pas pu l'enterrer. Il pourrira là, comme des centaines d'autres cadavres, à la merci des charognards. A moins qu'une bonne âme n'ait pitié de ce petit cadavre et ne lui offre un semblant de sépulture." Page 158

Les séquences juste après la guerre sont les plus difficiles. Dure parce que tout le monde était concerné et qu'on oublie trop facilement la douleur des Allemands qui n'ont été que les témoins d'un dictateur qui a laissé l'horreur se fondre sur eux. Et j'ai aimé que l'auteur ne se lâche pas sur des passages trop larmoyants. Il n'exagère pas les traits, se contentant de nous dire les faits tels qu'ils sont, mais avec élégance pour qu'on accepte en silence la violence de cette époque. 

Je ne vais pas y passer des heures pour vous parler de ce roman, mais honnêtement, s'il est différent des disparus de l'A16 ou de Manhattan Carnage, il mérite encore plus d'avoir sa place dans votre bibliothèque. Ne serait-ce que pour connaître un peu l'après guerre, époque trop vite oubliée. Ne serait-ce que pour ce duel de femmes qui tentent de prendre le dessus sur l'autre tout en acceptant de nourrir à son égard une très belle forme de respect et un semblant d'amitiés. 

C'est un beau roman. Une belle histoire. De beaux personnages. J'ai été séduite dès les premières pages et j'espère que Maxime nous reproposera de le lire dans un registre plus sérieux et plus historique. Et si je ne devais retenir qu'un passage, ce serait le suivant que je comprend et qui m'a personnellement touché :

"J'ai toujours détesté les dictons populaires. S'il y en a un que j'exècre par-dessus tout, c'est celui selon lequel le temps atténue les douleurs et que tous les chagrins, même les plus forts, finissent par s'estomper avec les années. Eh bien, vous savez quoi, Patricia ? Ce sont des foutaises. Un ramassis de conneries. La vérité, la vraie vérité, vous la voulez? C'est que Christian est mort depuis quarante ans, et que plus le temps passe, plus il me manque. Son absence m'est plus insupportable aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a dix ans. Les saisons défilent, dans leur déprimante monotonie, et chaque jour qui passe ravive un peu plus ma douleur.
"J'ignore tout de vous, Patricia, et vous êtes encore jeune, mais retenez ceci : les êtres qui vous étaient chers non seulement ne vous quittent jamais, mais sont de plus en plus présents au fur et à mesure que vous vieillissez.
(...)
Oui, on apprend à "vivre avec" comme disent les médiocres, mais le manque ne se comble jamais. Au contraire, le trou dans votre coeur se creuse toujours un peu plus, jusqu'au jour où vous n'en pouvez plus de lutter et que vous arrêtez de vous battre pour le rejoindre..." page 136     


Voilà, voilà. Un roman qui se referme. Intense et addictif. Une belle histoire, des portraits sublimes que j'ai adoré détesté parce qu'elles ne sont ni de gentilles femmes, ni de mauvaises personnes. Elles vivent avec leur démon, leur souffrance et agissent un peu comme si c'était les seules solutions pour se sentir libres et légères. Un roman incroyable !

Les plus :
- Deux femmes que tout oppose ou presque. Attachante et dont le portrait est soigné dans les moindres détails.
- L'histoire et son background captivant et dur.
- La plume de l'auteur. Juste et qui ne faiblit jamais, même dans les passages les plus durs.

 Les moins :
- Certains pourraient se demander où l'auteur nous mène, à juste titre, mais finalement la fin est l'aboutissement parfait de ce qu'on a vécu depuis le début.   

 

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